Adapté du roman Ce qu'il faut de nuit,
de Laurent Petitmangin,
prix Femina des lycéens en 2020,
Jouer avec le feu raconte l'histoire d'un père démuni par l'inexorable dérive de son fils cadet vers l'extrême droite. Porté par un excellent trio d'acteurs,
le film de Delphine et Muriel Coulin
sort dans les salles mercredi 22 janvier.
durée 1h58
Dans l'est de la France, Pierre (Vincent Lindon), la cinquantaine, cheminot, entretient avec ses collègues des relations fraternelles, mais ne tient plus à s'investir dans les combats syndicaux qu'il a menés pendant toute sa carrière. Sa priorité, maintenant, c'est sa famille. Veuf, il élève seul Fus (Benjamin Voisin) et Louis (Stefan Crepon), ses deux grands fils. Louis, élève sérieux, rêve d'aller étudier à la Sorbonne, à Paris. Fus, sans perspective, commence à fréquenter des groupes extrémistes. Pierre et Louis, impuissants, assistent à la dérive de Fus.
Pierre est désarçonné par ce fils qui fraye avec des nazillons aux valeurs totalement opposées aux siennes, humanistes, de gauche, qu'il pensait avoir inculquées à ses enfants. Contrainte, colère, compréhension, il a beau tout tenter pour ramener son fils à la raison, rien n'y fait, Fus persiste et signe jusqu'à sa perte.
Jusqu'où peut-on aller par amour filial ? Peut-on pardonner l'impardonnable à ses enfants ? Comment les aider quand ils s'engagent dans la mauvaise voie ? Après avoir raconté l'histoire d'un groupe de jeunes filles qui décident de tomber toutes ensemble enceintes dans 17 filles, en 2011, puis celle de deux femmes militaires dans Voir du pays en 2016, le troisième film réalisé à quatre mains par Delphine et Muriel Coulin s'intéresse une fois encore à notre société.
Les deux réalisatrices explorent cette fois la question de la famille, de l'éducation, de la transmission sur fond de crise des valeurs et de droitisation radicale d'une partie de la société française, celle des marges, des déclassés, des mis de côté. Celle d'une jeunesse qui se réfugie, en meute, dans la violence et la haine de l'autre.
Les deux frères, l'un promis à un bel avenir, l'autre coincé dans ses échecs, figurent cette fracture sociale qui traverse la France. Même le football ne parvient plus à réconcilier les forces contraires. Et Pierre lui-même finit par baisser les bras.
Le film est également marqué par l'absence presque totale de femmes. Pierre a perdu sa femme, ses garçons leur mère. Ils grandissent dans un environnement exclusivement masculin. Même musique dans les groupes d'extrême droite que fréquente Fus. Les seules figures féminines présentes dans le film incarnent le droit, la règle ou encore la culture : une juge, une avocate, la directrice de la Sorbonne. Quand elles arrivent, il est déjà trop tard pour Fus. Est-ce à dire qu'une présence féminine plus précoce aurait pu sauver Fus ? On ne le saura pas, mais cette absence de femmes ajoute à la radicalité de la narration.
Dans une réalisation organique, la caméra reste au plus près des protagonistes, de leur chair, et de leurs émotions. La colère, l'amour, la joie, la violence ou la douleur des personnages sont littéralement filmés à fleur de peau. Baignée dans un clair-obscur qui fait passer l'image de l'ombre à la lumière, de la sous-exposition dedans à la saturation des extérieurs, souligne l'impossibilité pour le père de protéger ses enfants de la violence du dehors.
Le film de Delphine et Muriel Coulin donne une fois encore l'occasion à Vincent Lindon d'exprimer toute la puissance de sa palette d'acteur. Un rôle qui lui a valu la Coupe Volpi du meilleur acteur à la Mostra de Venise en 2024. En face de lui, Benjamin Voisin incarne avec une grande force le jeune Fus à la dérive, qui contraste avec le jeu en creux tout en délicatesse de Stefan Crepon dans le rôle de celui que Fus appelle "le fils parfait".
En posant leur double regard féminin sur un monde d'hommes, les deux réalisatrices réussissent un film à la fois intimiste et politique qui touche aux grandes questions du monde contemporain.